Le Professeur Philippe PAROLA réagit à l’étude du LANCET

CEMCAP - Compagnie des Experts Médecins près la cour d'appel de Paris - Actualités - Le Professeur Philippe PAROLA réagit à l’étude du LANCET

Professeur Philippe PAROLA, Pôle Maladies Infectieuses, Hôpital La Timone, Marseille

(Interview Cnews, le 29 mai 2020)

“Il y a plusieurs façons de critiquer cette étude à l’IHU nous ne sommes pas les seuls. Il y a actuellement une levée internationale contre cette étude avec une lettre signée par des pointures internationales pour expliquer que tout ce qui est dedans est soit faux, soit imprécis, soit maladroit, soit frauduleux.

Voilà ça c’est ce qui sort depuis 48h et alors pour vous donner quelques exemples parce que c’est très compliqué comme vous dites d’être pédagogique et sans être trop technique, c’est une étude qui a été écrite par un chirurgien, un chirurgien cardiaque et un directeur de société de gestion de Big data.

Elle porte sur presque 100 000 patients ou plutôt 100 000 dossiers informatiques qui viennent des 6 continents, plus de 600 hôpitaux. Et en pratique sur ce type d’étude qui peut impressionner le tout-venant, c’est qu’en pratique, il n’y a aucune traçabilité.

On ne sait pas quels hôpitaux, on sait pas comment ont été collectées les données, il n’y a aucun aspects sur les éléments d’éthique, comment ont été sélectionnés les patients. Puis on a de taux impressionnants de mortalité et de complications qui sont inexplicables parce qu’on ne peut pas comparer les groupes. C’est assez étonnant aussi quand on regarde d’un continent à l’autre, il y a des choses qui ne sont tout simplement pas possible. C’est qu’il rapporte, par exemple, autant de fumeurs en Asie qu’en Afrique qu’en Europe,  autant de diabétiques ; tout ça n’est pas possible quand on compare aux données de santé publiques internationales.

Voilà ce sont les méthodes statistiques qui ne sont pas adaptées quand on compare des groupes et puis il y a quelque chose qui va vous parler c’est l’exemple de l’Australie. Les Australiens se sont exprimés, les auteurs de cet article du Lancet rapportent 73 morts sur 5 hôpitaux. A l’époque où ils ont fait l’étude dans toute l’Australie pas juste sur ces hôpitaux, il y avait 67 morts uniquement. Le plus grand hôpital d’Australie qui avait malheureusement 30 pour 100 des morts en Australie a dit « écoutez nous on n’a jamais donné nos données », le 2e plus grand hôpital d’Australie qui avait malheureusement 20 pour 100 des morts d’Australie, a dit « moi je n’ai jamais entendu parler de cette étude ». Alors bien sûr, ils ont écrit aux auteurs, ils ont écrit au Lancet et les auteurs ont dit   «  pardon oui c’est vrai on s’est trompé c’était pas un hôpital australien sur les cinq, c’était un hôpital qui était en Asie ».

Donc, l’imprécision et il y en a d’autres des imprécisions, les données sur l’Afrique et il y a une lettre actuellement de médecins, de chercheurs africains, asiatiques, qui disent « mais d’où viennent ces données, nous ne les avons pas, ça ne correspond pas à la situation en Afrique, ça ne correspond pas à la situation en Asie».

…..

Je ne vais pas réagir aux propos diffamatoires sur les propos qu’aurait tenu Didier notamment sa façon d’insulter les gens, je suis désolé Monsieur JAUFFRIN, mais je ne vais pas vous répondre, ce n’est pas de mon niveau et notamment dans cette émission.

Si je suis venu ce n’est pas notamment pour vous parler de la presse scientifique qui est devenu une presse d’opinion. Il y a des raisons,  ça peut vous intéresser parce que je pense que vous restez journaliste et donc je vais vous donner 2 – 3 éléments :

  • L’étude du LANCET n’est pas la seule, il y a des études dans le British médical journal. Ce sont des journaux prestigieux. Ce mois-ci lors d’une étude chinoise qui a travaillé sur l’hydroxychloroquine, l’éditeur avait demandé d’enlever tous les résultats favorables à l’hydroxychloroquine.
  • 2e exemple et dernier, une équipe, une étude publiée également dans le British médical journal cosignée par un de mes collègues infectiologue de l’hôpital Bichat : faibles effectifs, une étude qui est pas randomisée et dans cette étude en fait, les résultats ont été enlevés ou non interprétés. C’est-à-dire qu’il y avait un groupe de patients dans cette étude qui avait été traité par ce que vous appelez le protocole Raoult, l’hydroxychloroquine avec le plaquenil, avec 15 patients 0 morts, 0 passage en réa. Quand on analyse sur le plan statistique, Eh bien tout va bien, et on nous dit dans cet article “ouais mais finalement c’était pas un objectif donc on n’en parle pas“. Alors je me suis dit que ça ce n’est pas possible, j’ai regardé il faut lire les articles, pas juste le titre ou lire le résumé, mais lire les articles. Il y avait pourtant dans cet article un éminent épidémiologiste, alors je suis tombé par terre, qui aurait pu, il aurait pu analyser ça. Cet éminent  épidémiologiste quand j’ai regardé il se trouve que c’était le médecin qui avait été mandaté par les laboratoires SERVIER dans le cadre de la prise en compte de l’étude Frachon dans ce qu’on appelle l’affaire du Médiator (le rapport de l’IGAS 2011) ; ça n’a rien à voir, ça n’a rien à voir mais vous feriez mieux plutôt que d’aller sur les ragots, Monsieur JOFFRIN regarder les études scientifiques, regarder qui signe, est-ce que les auteurs comme mon collègue infectiologue et bien d’autres rapportent leurs conflits d’intérêts ? c’est-à-dire l’argent qu’ils ont reçu des laboratoires. C’est légal, attention, c’est légal mais ça peut biaiser leur façon d’écrire des articles scientifiques ou leur façon de conseiller les politiques.

 

Le biais énorme de beaucoup d’études qui sont sortis où l’on parle de patients sévères, de traitements compassionnels, c’est à dire des patients qui sont arrivés tard à l’hôpital et pour lequel tout ou partie de n’importe quel traitement ne marche pas ;

et donc on ne peut pas comparer ce qui n’est pas comparable.

Et d’ailleurs on reviendra à ça, vous verrez dans les mois qui viennent quand on sera à froid : c’est pourquoi tant de patients sont arrivés tard à l’hôpital alors qu’ils auraient pu être traités tôt, ou au moins pris en charge très tôt.

Vous verrez que dans notre analyse, ce qui compte finalement c’est que, plutôt que de dire aux gens :  « vous êtes malade, restez chez vous, attendez que ça s’aggrave et vous appellerez le SAMU, parce que là vous arriverez directement aux urgences ou en réanimation » et malgré toute la dextérité de mes collègues urgentistes et réanimateurs, ça sera trop tard.

Donc il y aura des questions qui seront sans doute posées.

Mais effectivement le traitement que nous proposons, mais que la moitié de l’Afrique a fait, que de nombreux états unis font, ça s’est fait en Chine, c’est de prendre les malades au plus tôt pour intervenir dans la première phase de la maladie.

C’est assez facile à comprendre il y a une première phrase où il y a le virus, et donc il faut tuer le virus avec des médicaments dont on sait qu’ils tuent le virus au laboratoire, dont on sait dans les premiers résultats qu’ils diminuent le portage du virus ;

et ensuite il y a une deuxième phase qui est une phase où malheureusement il est trop tard, il y a des embolies pulmonaires, on manque d’oxygène, le système immunitaire s’emballe et d’ailleurs l’hydroxychloroquine et peut-être d’autres médicaments peuvent agir à ce niveau également.

Donc ensuite il ne faut pas faire de raccourcis, il faut comparer ce qui est comparable.  Et ce que je peux vous dire quand je parlais de presse d’opinions par rapport à la presse scientifique, et de journalisme people par rapport au journalisme d’investigation, c’est que nos articles ou les articles qui vont dans ce sens, on pourra revenir sur le pourquoi, ont du mal à passer dans les grands journaux et ça qu’il y a des raisons.

Sur la décision de l’OMS et de l’abrogation des dispositions dérogatoires autorisant la prescription de l’hydroxychloroquine :

Alors deux choses, là franchement et c’est ce que peut-être, on pourra reprocher à nos dirigeants ou de façon générale aux dirigeants mais qui font un métier compliqué, c’est de prendre des décisions sous le coup de l’émotion. Et ça il ne faut pas le faire. Nous médecin normalement on ne doit pas le faire donc on ne le fait pas. Quand on est en responsabilité au niveau du pays, c’est sans doute très difficile et donc c’est très compliqué, mais vraiment on ne peut pas prendre une décision sans lire clairement un article ou attendre au moins qu’un staff technique dépiaute les choses pour pouvoir prendre une décision adaptée.

Je précise deux choses quand même sur cette soi-disant interdiction de prescrire de l’hydroxychloroquine. Il y a effectivement un texte qui a été modifié. Mais attention, il y a une différence entre le texte de loi, le communiqué, le communiqué de presse du ministère de la santé et la façon dont il a été relayé dans les médias :

Bien sûr il n’y a pas d’interdiction de prescrire l’hydroxychloroquine. Tout médecin peut le prescrire Hors AMM. Moi je l’utilise pour traiter des maladies infectieuses avec des antibiotiques comme la fièvre Q. Si je l’arrête aujourd’hui j’ai des malade atteint de fièvre Q qui vont mourir, donc bien sûr je ne vais pas l’arrêter. C’est une prescription Hors AMM, car un médicament quand il est mis sur le marché, et bien 10 ans après, on s’aperçoit qu’il sert à autre chose.

Par contre ce décret revient en arrière, c’est-à-dire que les médecins de ville qui pourtant sont en première ligne pour sauver les patients même s’ils peuvent le prescrire, la pharmacie de ville ne pourra pas le faire. Donc là aussi, il y a une sur-interprétation de ce décret, instrumentalisée ou maladroite, je n’en sais rien. Pourquoi ? Mais je pense qu’il faut chercher pourquoi, ce n’est pas mon métier, moi j’ai des éléments, les éléments je vous en ai donné quelques-uns.

Il y a des éléments politiques. Alors là, je ne fais pas de politique et je ne veux pas en faire et je vais le décaler Outre-Manche. Le débat aux États-Unis de l’hydroxychloroquine s’est transformé en débat pro Trump ou contre Trump. Ça c’est la vérité, je n’ai pas d’avis sur le président Trump, c’est pas le président de mon pays et je ne sais pas si c’est un bon président pour les américains. Ce que je sais c’est qu’il s’est exprimé et que tout à coup il y a eu un emballement médiatique et politique, et d’ailleurs l’éditeur du l’éditeur du Lancet, qui est encore éditeur du Lancet pour quelque temps, je ne sais pas si ça va durer, s’est très ouvertement prononcé anti-Trump. Je n’ai pas d’avis là-dessus, mais c’est une part de l’explication.

Mais je vais vous en donner une deuxième, encore une fois intéressez-vous, et ça en général vous vous y intéressez, aux rapports avec l’industrie pharmaceutique, aux conflits d’intérêts. Moi j’ai été atterré par deux choses en regardant la fluctuation du cours de GILEAD qui est le concurrent entre guillemets de l’hydroxychloroquine, le concurrent médiatique, on va dire, vous verrez que ça fluctue en fonction des publications, il y a des échanges d’actions qui sont en milliards. Deuxièmement j’ai également été atterré par l’article d’investigation qui est paru dans Marianne du 16 mai et qui vous laisse pantois sur les conflits d’intérêts des médecins qui ont le droit de percevoir de l’argent de l’industrie pharmaceutique, c’est légal mais par contre ils doivent le déclarer, car c’est un problème quand ils publient et qu’ils conseillent les autorités ou qu’ils appartiennent à un conseil scientifique. Ça vous devriez investiguer plutôt que de dire Raoult a dit ceci, Raoult a dit cela. Vous vous faîtes embobiner comme on disait avant, et vous verrez ce qu’a dit Didier Raoult ou pas.

Comment faire la paix avec ça. Il y a deux choses il y a le temps, le temps des publications, le temps des analyses, le temps d’analyser et d’analyser ce qu’on a observé par ceux qui ont soigné. Il n’y a pas que nous. Nous nous avons diagnostiqué très tôt, nous avons des malades très sévères, des maladies très graves. Vous verrez, vous observerez la mortalité dans différents endroits du monde, chez nous dans le sud, en Algérie, au Maroc, où les gens ont été soignés et pas laissés à la maison, et éventuellement soignés avec les médicaments. Donc Premièrement le temps de l’analyse scientifique, et ensuite il y aura le temps des questions, des questions politiques, des questions parlementaires et là ça n’est pas mon métier. C’est peut-être le vôtre car à un moment donné vous serez amené à faire un peu d’investigation. Mais il y aura bien sûr le temps des questions, et il faudra plusieurs mois. Vous savez ici à Marseille, on a inventé des traitements pour les maladies infectieuses qui sont maintenant dans tous les livres du monde et qui ont mis 4 – 5 ans à s’imposer. C’est comme ça.

Est-ce que vous diriez que Olivier Véran fait preuve de légèreté et en prenant cette décision ?

Non, vous savez je ne dirai pas ça pour plusieurs raisons. Je n’ai peur de personne et sûrement pas de parler ; je pense que sa situation est difficile. La situation de tout ministre est difficile et je n’ai pas de conseil à donner. Simplement de façon générale, il ne faut pas réagir sur le coup de l’émotion il faut avoir un staff. Sauf après bien sûr il peut y avoir des stratégies qui m’échappent et la stratégie politique, ça n’est pas de mon ressort de les analyser. En tout cas de façon générale c’est valable pour la presse, pour les décideurs, pour l’OMS, une publication scientifique avant d’en faire le buzz et de la relayer c’est comme un communiqué de presse du ministère de la santé, il faut les vérifier.

Un dernier mot pour répondre à Monsieur JOFFRIN, je pense qu’il faut lire les journaux, y compris, y compris ses propres journaux. Et sur la question des experts encore une fois, où l’autre jour j’ai pas réagi mais vous m’aviez présenter un collègue néphrologue, qui a analysé cette étude du Lancet, qui récidive aujourd’hui dans le Point, qui dit que c’est magnifique et donc je reviens vers vous Monsieur JOFFRIN, vous savez, et on parlait l’autre jour de « un tel a dit que », « un tel a dit que ». Quand vous parlez de foot, ça ne vous gêne pas de dire que qu’il y a Mbappé, Maradona, Platini ou pour ma génération Zidane ou Papin qui sont des gens d’exception, des bons joueurs de foot et bien à côté d’autres que vous connaissez moins. Dans la recherche, dans la médecine, chez les chercheurs, c’est pareil. Pourtant on joue tous au foot. Vous voyez c’est une analogie. »